Investir dans le désordre : les 15 questions taboues que nous refusons de nous poser

L'ère des rendements faciles est peut-être terminée. Les dernières années étaient une anomalie historique. Nous entrons dans une ère de fragmentation géopolitique, de contraintes physiques et de disruptions violentes. Pourtant, la majorité des portefeuilles restent calibrés pour le monde d'hier et suivent “passivement” des indices mondiaux. Nous nous accrochons aux dogmes du passé, rassurés par un consensus aveugle aux crises. Pour prospérer, posons nous les questions qui dérangent:

I. La “géopolitique de demain” : géopolitique périmée

1. Et si les taux d'intérêt actuels (4-5%) n'étaient pas "élevés", mais simplement normaux ? Vos stratégies sont-elles viables dans un monde où le capital a de nouveau un coût réel et où les entreprises "zombies" ne survivent plus ?

2. L'inflation est-elle l'ennemi, ou un outil politique délibéré de "répression financière" pour éroder la dette publique ? Si c'est le cas, détenir des obligations d'État ou des fonds euros n'est-il pas un suicide patrimonial certain ?

3. Et si le principal moteur d'inflation n'était ni monétaire, ni énergétique, mais démographique ? La contraction de la population active dans de nombreux pays ne va-t-elle pas entraîner une hausse structurelle des salaires et des coûts ?

4. Obsédés par la rivalité sino-américaine, n'ignorons nous pas la bombe la plus certaine : l'effondrement démographique chinois. Le "Siècle Chinois" est-il déjà terminé ou la robotisation change-t-elle l'équation ?

II. Actifs traditionnels : actifs obsolètes

5. Le dogme du portefeuille 60/40 (actions/obligations) est-il mort ? Si les corrélations entre ces actifs deviennent positives (ils baissent ensemble), le fondement de la diversification moderne s'effondre. Par quoi le remplacer ?

6. L'investissement passif (ETF) est-il devenu un risque systémique ? L'afflux massif dans les indices n'a-t-il pas créé une bulle sur quelques valeurs (type "Magnificent Seven"), augmentant la fragilité des marchés et l'inefficacité de l'allocation de capital ?

7. L'explosion du "Private Equity" (non coté) est-elle une allocation intelligente, ou une bombe à retardement illiquide ? Ces actifs sont-ils résilients, ou simplement non évalués au prix du marché réel en période de stress ?

8. Combien d'"actifs échoués" (stranded assets) détenez-vous ? Vos immeubles de bureaux ou participations industrielles sont-ils correctement valorisés face aux risques réglementaires et climatiques (carbone) et technologiques (télétravail, IA) qui pourraient annuler leur valeur ?

III. L’extra-financier : opportunité en or

9. Le marché ne survalorise-t-il pas dangereusement les actifs intangibles (software) tout en sous-évaluant dramatiquement les actifs durs et essentiels (métaux critiques, mines, infrastructures énergétiques, fret) ?

10. Le narratif ESG n'a-t-il pas créé des opportunités spectaculaires dans des secteurs "mal-aimés" mais indispensables à la souveraineté (défense, agroalimentaire) que la finance déserte par conformisme ?

IV. Le retour du risque : une excellente nouvelle

11. La diversification géographique internationale devient-elle une source de risque plutôt qu'une protection dans un monde qui se refragmente ?

12. Faut-il encore investir dans des pays dont les intérêts stratégiques divergent des nôtres, au risque de voir nos actifs saisis, sanctionnés ou dévalués arbitrairement ?

13. L'ère du "just-in-time" est-elle révolue ? Faut-il privilégier les entreprises qui investissent dans le "just-in-case" (stocks, relocalisations), même si cela sacrifie la rentabilité à court terme ?

14. L'obsession européenne pour la régulation et la discipline budgétaire n'est-elle pas suicidaire à l'heure des investissements massifs pour la défense et la réindustrialisation ?

15. Ne sommes-nous pas face à l'opportunité historique de réconcilier rendement financier et impact sociétal, en finançant non plus la spéculation, mais la reconstruction concrète des infrastructures et services de demain ?

Conclusion Chers lectrices et lecteurs de Boursier.com, je n'ai pas les réponses à ces questions. Je pense néanmoins que les ignorer tout de suite n'est pas notre intérêt, ni à long terme, ni à court terme. Les portefeuilles n'ont pas changé, mais le monde, lui, a changé de régime.

Et nous ?

Vincent Aurez