« L'épargne des Français dort pendant que nos start-up s'essoufflent » : plaidoyer pour un PEA-Tech
Alors que 110 milliards d'euros sommeillent dans 7 millions de PEA français, nos start-up d'intelligence artificielle et de deeptech peinent à lever quelques millions pour rivaliser avec les géants américains. La révolution du PEA annoncée à l'Assemblée pourrait être l'occasion de créer un PEA-Tech, soutient Vincent Aurez, expert IA et finances.
Le PEA s'apprête à muer. Dans les couloirs de l'Assemblée, un amendement parlementaire dessine les contours d'une épargne libérée : plafonds abolis, enveloppes unifiées, transmission facilitée. Trente ans après sa création, le Plan d'épargne en actions (PEA) pourrait bien connaître sa révolution copernicienne. Mais derrière l'enthousiasme des épargnants se cache un paradoxe français tenace. À quoi bon déverrouiller les milliards dormants si cette manne ne trouve pas le chemin des entreprises qui façonnent l'avenir ? Car la vraie question n'est plus de savoir comment épargner, mais comment épargner utile. Les PME de rupture se débattent dans le désert
La France investit dans l'intelligence artificielle, mais pas encore dans sa propre souveraineté technologique. Alors que les start-up IA et deep tech françaises lèvent difficilement quelques millions d'euros, les marchés s'enflamment pour des valorisations artificielles à l'autre bout de l'Atlantique. En 2023, les start-up d'IA générative ont levé 22 milliards de dollars, dont l'écrasante majorité aux Etats-Unis. Pendant ce temps, les PME françaisesde rupture se débattent dans un désert de financement. Le paradoxe est criant : la France détient 7 millions de PEA représentant plus de 110 milliards d'euros, mais à peine 2,7 milliards sont fléchés vers le PEA-PME. Et si l'on créait enfin un PEA-Tech, taillé pour irriguer les entreprises qui portent notre destin industriel et scientifique ? Des PME IA assoiffées de capital
La dynamique entrepreneuriale française est bien réelle. En 2024, ce sont 385 start-up deeptech qui ont vu le jour. Des entreprises comme Mistral AI, Owkin , Pasqal ou Innovafeed incarnent cette génération de bâtisseurs à haute intensité technologique. Elles n'ont pas besoin de subsides : elles ont besoin de capital. Pourtant, alors que la loi Pacte a élargi les possibilités du PEA-PME, l'essentiel de l'épargne des Français reste sous-utilisé, conservée dans des fonds prudents ou sur des livrets à faible rendement. Le potentiel est là, endormi. Il suffirait d'un véhicule simple, visible, incitatif : un PEA-Tech ouvert à tous, avec un bonus fiscal pour les fonds ou titres liés aux technologies stratégiques. Une manière de rapprocher l'épargnant citoyen de l'économie réelle et d'en faire un acteur du progrès.
Financer l'IA, ce n'est pas céder à la mode du moment. C'est identifier et soutenir des usages industriels concrets, des outils souverains, des champions en gestation.
L'Histoire nous l'a appris : la frontière entre emballement technologique et bulles spéculatives est mince. La crise des dotcoms ou la frénésie crypto nous ont vaccinés contre l'euphorie sans fondements. Mais toute phase d'innovation a besoin d'un momentum financier. Le danger n'est pas l'afflux de capitaux, c'est leur mauvaise allocation. Financer l'IA, ce n'est pas céder à la mode du moment. C'est identifier et soutenir des usages industriels concrets, des outils souverains, des champions en gestation. Ce n'est pas gonfler des valorisations, c'est faire grandir une économie de la connaissance. Entre le fantasme spéculatif et la frilosité budgétaire, une voie existe : celle du capitalisme d'innovation. Financer l'IA, pas les bulles
L'Etat stratège a montré son efficacité : Colbert au XVIIe, le Plan Calcul au XXe, et aujourd'hui Bpifrance ou les IPCEI en Europe. Mais dans une économie moderne, l'Etat ne peut pas tout. Ce qu'il peut - et doit - faire, c'est mettre en musique les incitations. Ce PEA-Tech serait un signal fort : oui, les Français peuvent investir dans leur souveraineté. Oui, le risque peut être partagé entre épargnants, investisseurs institutionnels et pouvoirs publics. Oui, la souveraineté numérique se finance aussi dans les portefeuilles. Dans un monde où l'IA redéfinit les chaînes de valeur, être spectateur, c'est devenir vassal. Le temps est venu de transformer l'épargne dormante en moteur d'indépendance. Financer l'IA, pas les bulles : c'est parier sur l'intelligence long terme.